À la tribune

Commission des Finances

Projet de loi Accord France-Monaco : Eric Bocquet s’exprime au nom du groupe CRCE

Le jeudi 4 février 2020, le Sénat examinait le Projet de loi Accord France-Monaco (voir explications en bas de l’article). C’est Eric Bocquet, en tant que représentant du groupe CRCE en Commission des Finances qui a prononcé l’intervention générale et l’explication de vote.

La première intervention, d’une durée de 5 minutes, l’intervention générale, visait à rappeler la portée de ce texte au regard du contexte actuel.

Lire le texte de l’intervention

Madame la Présidente,
Monsieur le Ministre,
Mes cher.e.s collègues,

On a fait grand cas et assaut de communication autour de cet accord que d’aucuns présentent à l’envi comme historique. Il importe d’analyser, selon nous, le présent texte à l’aune de son contenu.

Les faits sont têtus, implacables et parfois inquiétants : nos concitoyens et nos concitoyennes financeront 8 milliards d’euros par an supplémentaires sur la période 2021-2027. Traduction : les contribuables s’apprêtent à devoir supporter la lourde charge de financer le Brexit, le plan de relance européen et les effets de la crise sanitaire.

Les citoyens paieront d’abord parce que la seule ressource propre inscrite à cet accord est la taxe sur les déchets d’emballage plastiques non recyclés. C’est une taxe symbolique qui ne rapportera au maximum que 14 milliards d’euros. Le faible produit engendré par ce dispositif est dû à ce que le jargon technocratique Bruxellois appelle « un mécanisme de correction ». C’est pour cette raison simple, bien loin des enjeux écologiques, que l’Italie échappera ainsi à 184 millions d’euros. Dans le même temps, la France sera le deuxième plus important contributeur de cette taxe, à hauteur d’1,2 milliards d’euros car aujourd’hui nous sommes toujours à la traîne en matière de recyclage. Bien loin d’être pérenne, cette taxe a donc vocation à disparaître lorsque les états membres auront mené les réformes nécessaires. Difficile de penser l’avenir avec des ressources éphémères, d’autant qu’il s’agit de la seule mesure arrêtée de la directive.

Les citoyens paieront ensuite car vous refusez manifestement et de manière récurrente de taxer dividendes et gros patrimoines ! Dans les considérants de l’accord il y a toutes les ressources que vous peinez à concrétiser dont :

  • La taxe sur les géants du numérique ;
  • La mise en place d’une assiette commune et consolidée d’imposition sur les sociétés ;
  • La taxe sur les transactions financières.

Aucun accord n’a été trouvé en 10 ans. Nous vous proposons ces solutions depuis 20 ans. Mais ces projets sont repoussés encore une fois aux calendes grecques : rien avant 2025, et encore… Nous allons donc joyeusement nous priver d’au moins 60 milliards d’euros pour la seule TTF, soit plus que le surcoût pour notre pays inscrit au prochain cadre financier pluriannuel. Avec ces recettes nouvelles – à budget constant – aucune contribution supplémentaire pour la France ne serait requise. Faire payer les Français relève donc d’un choix délibéré.

Nos concitoyens couvriront en plus ce que l’on appelle les rabais octroyés aux pays frugaux. La France, seule, financera 34 % de ces rabais – voire de ce que l’on appelle des rabais sur les rabais – pour des pays en bonne santé économique. L’Allemagne tout comme le Danemark, les Pays-Bas, l’Autriche et la Suède bénéficieront de ces « corrections forfaitaires ». Angela Merkel reviendra devant son peuple avec une réduction de 3,6 milliards d’euros de rabais dont la France s’acquittera à hauteur de 1,2 milliards. Autrement dit, même si le Gouvernement fait mine de s’opposer à ces rabais, non seulement ils existent toujours mais ils sont augmentés à chaque occasion.

Les concitoyens paieront enfin car l’Union Européenne se prive d’années en années de ses ressources traditionnelles. Les droits de douanes constituent pourtant 15% des recettes totales de l’UE. J’ai longtemps cherché dans cet accord mention de ces « ressources propres » sur lesquelles s’est fondé le projet européen. Mes chers collègues, aucune trace de celles-ci. Alors que la crise sanitaire et les déboires avec Donald Trump auraient dû nous rappeler que les droits de douane sur les importations des pays tiers constituaient une condition sine qua non à l’exercice de la souveraineté de la zone et de ses membres. Les finances de l’Union sont sacrifiées sur l’autel du libre-échange. Dernier exemple en date, août 2020 : la suppression totale d’ici à 10 ans des droits de douanes avec le Vietnam. La première ressource consiste à ne pas se priver des recettes normalement dues !

« N’en croyez rien ! Non, les Français ne paieront rien pour rembourser le plan de relance européen » jubilait le rapporteur du texte à l’Assemblée nationale.

Ce contexte inédit est une magnifique occasion d’engager un débat de fond avec tous les peuples européens quant au rôle nouveau que devrait jouer la Banque centrale européenne.
Une BCE qui ne devrait plus être au service exclusif des marchés financiers mais des peuples européens et des grands défis qui sont devant nous : dette, inégalités et transition écologique notamment.


La deuxième intervention est l’explication de vote du groupe CRCE sur ce texte.

Un titre

Madame la Présidente,
Monsieur le Ministre,
Mes chers collègues,

En 1962, à l’apogée de la crise avec la principauté monégasque on prête au Général de Gaulle la formule suivante : « Pour faire le blocus de Monaco, il suffit de deux panneaux de sens interdit ». Sur les dons et les legs, il nous est proposé d’enlever tous les panneaux ! N’entravons plus la circulation des capitaux entre le Rocher et la France, ou plutôt dans l’autre sens plus probable entre la France et le Récher ! Arrêtons de nuire au rapprochement entre les peuples !

Le présent accord se propose de réduire les recettes fiscales sur les successions, sous couvert de financer de bonnes œuvres.

Pourquoi conduire une réforme qui, selon l’étude d’impact, n’aurait qu’un effet très ponctuel ? Le rôle du législateur n’est pas d’octroyer des avantages à une petite poignée de ménages, souhaitant s’exonérer de leurs obligations fiscales sur leurs donations et leurs legs.

Comme pour nous réconforter, nous devrions être rassurés du fait que « la réciprocité de l’exonération limite l’impact fiscal dans chacun des deux Etats ». Nous savons tous ici que les motifs invoqués nous interpellent : les mouvements de capitaux proviendront de Monaco vers la France !

Nous pourrions nous réjouir comme le prévoit l’accord des dons ou legs de riches monégasques au profit de collectivités locales françaises. Par exemple, le département du Nord saurait faire bon usage pour sa population de l’argent du rocher ? Il s’agirait d’une bonne nouvelle.

Le projet d’un tel accord conforte encore le développement d’un financement privé du secteur associatif par les entreprises mécènes et les riches particuliers. Aussi, en 2017, les entreprises ont versé 1,7 milliards d’euros au titre du mécénat, doublant ce montant en 7 années. Quant à eux, les foyers fiscaux ont déclaré 2,5 milliards d’euros de dons, dont la moitié provient du décile des ménages les plus riches. Grâce aux profits de la multitude d’avantages fiscaux certains ont les moyens de leur générosité…
Ce que Gabriel Attal qualifiait de passage de l’Etat providence à celui de société-providence. Vous misez donc sur le ruissellement monégasque aux associations françaises alors qu’une telle logique n’a jamais prouvé son efficacité.

Dans ce dispositif le seul perdant sera l’État ! Des chercheurs, Messieurs Depecker, Déplaude et Larchet résument admirablement cette situation : « à travers les avantages fiscaux dont ils font bénéficier les organisations philanthropiques, les États subventionnent, et donc soutiennent les stratégies de reproduction et de légitimation des élites économiques ».

Bien évidemment le groupe communiste votera contre cet accord qui renforce la logique de désengagement de l’Etat vis-à-vis de nos associations.


Le Projet de loi Accord France-Monaco, qu’est-ce que c’est ?

De son intitulé complet, projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre la France et la Principauté de Monaco relatif au régime fiscal des dons et legs faits aux personnes publiques et aux organismes à but désintéressé.

La France et la principauté de Monaco ont signé, le 25 février 2019, un accord ayant pour objet l’exonération réciproque des droits de mutation à titre gratuit des dons et legs entre vifs et par décès consentis à certains bénéficiaires.

Selon cet accord, ces bénéficiaires peuvent être les États parties, leurs collectivités locales et territoriales, des établissements publics d’utilité publique et des organismes à but désintéressé opérant dans les domaines culturel, cultuel, éducatif, charitable, scientifique, médical, environnemental ou artistique et implantés dans l’un des États parties. L’exonération s’applique sans condition de résidence du donateur ou testateur dans l’un des deux États parties, dès lors que le bénéficiaire d’un des États parties à l’accord doit s’acquitter de droits de mutation à titre gratuit dans l’autre État partie.

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